En novembre de cette année, la CNDA a changé de posture face aux demandes d’asile effectuées par les Afghans. Leurs demandes ont aujourd’hui moins de chances d’être approuvées. Christian Robin, président d’honneur de F.L.A., nous aide à décrypter les raisons de cette évolution, qui peut avoir des répercussions sur Français langue d’accueil.
Quelles étaient les postures de l’Ofpra et de la CNDA vis-à-vis des Afghans avant 2018 ?
C.R : Jusqu’en 2014, le nombre de demandeurs d’asile afghan était faible. Le taux de protection obtenu à l’Ofpra était relativement élevé par rapport à la moyenne des autres pays d’origine (de 34% en 2010 à 46% en 2012) mais plutôt bas par rapport à ces dernières années. La donne a été modifiée en 2013. La probabilité pour les ressortissants Afghans d’obtenir une protection a atteint 82% dès 2015. Deux raisons à cela : la dégradation de la situation dans le pays en raison du départ programmé de la force internationale et le changement de la politique d’attribution de la protection par l’Ofpra. En effet, pendant plusieurs années, la CNDA attribuait plus de protection que l’Ofpra, ce qui était étonnant pour une cour qui jugeait en seconde instance. Le taux de protection de l’Ofpra s’est dès lors établi à plus de 80% pour les Afghans de 2014 à 2017.
De son côté, depuis au moins dix ans, la CNDA a été relativement « généreuse » dans l’attribution d’une protection pour les Afghans (entre 60%et 75% pendant la dernière décennie). Que ce soit pour l’Ofpra ou la CNDA, la protection subsidiaire est beaucoup plus accordée que le statut de réfugié.
Qu’est-ce qui a changé ? Le changement de politique opéré à la CNDA s’inscrit-il dans un contexte plus large ?
C.R : Les évolutions des dernières années sont à mettre en regard de celle du nombre d’Afghans demandant l’asile. D’environ 200 personnes par an en 2007, ce nombre s’est situé entre 500 et 800 de 2010 et 2014, puis 2500 en 2015, plus de 6000 en 2016 et 2017, enfin plus de 10000 en 2018 et 2019. Les Afghans font maintenant partie des premières nationalités d’origine non européennes qui obtiennent une carte de séjour (tous types confondus) en France. Cette situation amène donc les différentes instances de l’asile et la tutelle étatique à porter une attention particulière à la demande afghane.
À l’Ofpra, pendant les années 2014 à 2017, la seule vraie question pour les Afghans était de démontrer qu’ils étaient bien Afghans. En revanche, depuis le deuxième trimestre 2018, cette institution étudie les cas de manière plus individuelle, même si elle accorde beaucoup de protection subsidiaire. Ainsi le taux de protection accordée en première instance (à l’Ofpra) est descendu autour de 60%.
Or la CNDA n’avait pas suivi la politique de l’Ofpra et annulait ses décisions plus de deux fois sur trois (69% en 2019). Accordant là aussi plutôt la protection subsidiaire (62% en 2019). Et ce en raison d’une jurisprudence qui disait qu’en cas de renvoi, les Afghans devaient passer par l’aéroport de Kaboul qui se situait dans une zone d’insécurité forte et donc que les déboutés risquaient leur vie en rentrant.
Depuis longtemps cette jurisprudence était contestée. Réunie en grande formation, les juges l’ont donc renversé au mois de novembre 2020 arguant du fait que les risques avaient beaucoup diminué ces dernières années et que de nombreux réfugiés afghans résidant en Iran et au Pakistan étaient rentrés dans leur pays. Arguments que contestent de nombreux observateurs.
En conséquence, le nombre de protections subsidiaires obtenu à la CNDA va diminuer fortement. Il est aussi probable que cela pousse à rendre les décisions de l’Ofpra plus sévères et donc aboutisse à faire revenir le taux global d’accord (Ofpra + CNDA) qui était de 82 % en 2019 à moins de 65 % 2021, surtout qu’une grande partie des Afghans demandant l’asile en France sont des déboutés d’autres pays européens.
Le phénomène qu’on observe aujourd’hui avec les évacuations musclées et répétées de réfugiés, souvent Afghans, risque donc de s’accroitre et le désespoir d’être encore plus élevé.
A noter que cette évolution de la jurisprudence de la CNDA risque d’aller dans le sens opposé des évènements en Afghanistan où les pourparlers de paix suscitent beaucoup plus de craintes que d’espoir. Les risques de voir les Talibans arriver au pouvoir comme ceux d’une autre guerre civile sont élevés, ce qui provoquerait une nouvelle vague de départs.
Cela va-t-il avoir un impact sur F.L.A. ?
C.R : Ces évolutions ont marqué la vie de F.L.A. La création de l’association, et avant elle de l’activité dont elle prend la suite, a pour origine la présence de demandeurs d’asile dans le Xe arrondissement, pour le plus grand nombre afghans. Jusqu’en 2014, la majorité des adultes afghans demandeurs d’asile en France passait à un moment ou un autre par F.L.A. Un plus faible espoir de protection à l’époque que ces dernières années pouvait décourager certains dans leur apprentissage. A cette difficulté s’ajoutait le fait qu’une grande part d’entre eux était « dublinés ». Ce dernier phénomène avait des effets paradoxaux, l’absence de perspective à court terme favorisant la participation aux ateliers pour meubler le long temps d’attente.
Le changement de la politique de l’Ofpra de 2013 a donc modifié la vision de l’avenir pour beaucoup. La probabilité d’espérer vivre en France est devenue bien plus forte. Pour ceux qui s’investissent dans l’apprentissage de la langue, F.L.A. a pu proposer un parcours dans la durée. C’est une des raisons pour laquelle l’association a développé des ateliers du soir pour les personnes qui avaient obtenu la protection internationale et travaillaient.
Nous risquons donc d’observer un retour en arrière et d’agir avec des personnes aux motivations plus sujettes encore que d’habitude à de fortes variations. Surtout si l’on tient compte d’un autre phénomène qui s’est développé depuis quelques années : la croissance du nombre de dublinés « mis en fuite » (devant attendre 18 mois pour pouvoir déposer leur demande d’asile) parce qu’ils viennent de pays comme l’Allemagne ou la Suède où ils n’ont pas obtenu l’asile.